Michel Maffesoli : « L’idéal démocratique actuel moderne est périmé »
Michel Maffesoli, Professeur honoraire en Sorbonne est une figure majeure du paysage intellectuel européen. Si ses analyses bousculent et dérangent elles n’en sont pas moins porteuses de sens. Pour preuve, le regard que porte ce membre fondateur du Conseil Scientifique de la FEDE sur les dernières élections municipales
Que vous inspire les résultats des dernières élections ?
Ce qui est frappant ce n’est pas tant la vague verte, vague sur laquelle surfent quelques tribus bobos en mal de pouvoir, mais l’énorme désintérêt populaire pour ces élections locales. Ni les partis traditionnels, ni les pseudo-nouvelles formes de représentation, les ni droite ni gauche de LREM, ni même l’écologie politique ne peuvent prétendre à représenter et à plus forte raison à rassembler les diverses composantes d’une République Une et Indivisible.
Comment expliquez-vous ce désintérêt ?
Par le divorce entre le pouvoir et la puissance. Pour le dire vite, le pouvoir est institué, c’est l’organisation du vivre ensemble (les élections, les élus), la puissance est instituante. Elle est ce qui donne corps et sens à la vie sociale, elle est ce qui fonde l’être ensemble (le désir des votants).
En modernité (des lumières à aujourd’hui), le pouvoir va être délégué par les individus à différentes instances élues, mandatées pour appliquer tel ou tel programme, pour exprimer telle ou telle conception de la société. Au contraire, dans la postmodernité naissante, c’est-à-dire dans une société tribalisée, constituée de multiples communautés, cette forme de délégation du pouvoir ne fonctionne plus. Les masses fragmentées, éparpillées en diverses tribus ne se sentent plus représentées. Les individus ne s’identifient plus à un modèle unique, transcendant toute leur vie économique, sociale, spirituelle.
Quelles conséquences en tirez-vous ?
Quand le pouvoir et la puissance sont entièrement déconnectés, quand les institutions ne sont plus innervées par une énergie commune, par la puissance populaire, quand les élites sont totalement distantes de la base, il faut trouver de nouvelles formes de gestion de la cité.
Il faut noter, d’ailleurs à cet effet, que dans quelques rares communes de moins de 1000 habitants, dans lesquelles l’équipe sortante n’a pas été reconduite au premier tour, s’étaient manifestées des équipes soucieuses de faire renaître leur village par des projets collaboratifs et des formes de participation innovantes.
Pouvez-vous être plus précis ?
Les manœuvres de politiciens aguerris, usant des diverses ficelles de la vie démocratique moribonde ont empêché de telles expériences.
Mais, qu’il s’agisse des villes à forte abstention ou des villages où les caciques du pouvoir se sont cramponnés à leurs privilèges, les formes d’être ensemble se détermineront progressivement dans de multiples expériences communes : dans des soulèvements populaires, sur le modèle des premiers gilets jaunes ou de diverses manifestations n’ayant d’autre objet que de se rassembler. Mais également, au jour le jour et dans différents territoires de proximité, des manifestations de solidarité, d’entraide, des rassemblements festifs, des initiatives de rencontres verront le jour.
Quelles formes prendront les institutions postmodernes ?
La politique imposée d’en haut, la politique définie par des élites menant le peuple vers un but défini par des élites en déshérence est désormais périmée ; elle appartient au vieux monde. Cependant nul ne peut prédire les formes que prendront les institutions qui naîtront de ces formes nouvelles et émergentes d’être ensemble. Sans doute y aura-t-il de nombreux soubresauts et d’affrontements entre pouvoir moribond et puissance. Ce que l’on peut dire par contre est que ces nouvelles formes politiques, ces formes d’une politique transfigurée, se lisent, au jour le jour, au plan local, dans la proxémie quotidienne. En postmodernité, l’être ensemble ne se construit pas (comme en modernité) par la projection dans l’avenir, mais par le fait d’être ensemble dans un lieu donné. Les expériences communes prendront la place des catalogues de promesses.