S’il doit son nom de baptême à la plume moqueuse d’un journaliste satirique raillant le tableau de Claude Monet «Impression Soleil Levant» exposé en 1874 lors de la première exposition collective de ces jeunes peintres dans les Ateliers Nadar à Paris, c’est quelque trente ans plus tôt, aux alentours des années 1830, que ce soleil, contrevenant à toute loi astrale connue, se leva à l’ouest sur les brumes de la Tamise et sous le pinceau annonciateur de William Turner cherchant à en fixer les chatoiements fugaces sur l’eau, les nuages, les fumées de Londres ou la végétation de sa campagne environnante.
Le précoce et talentueux artiste y gagnera le surnom de «peintre de la lumière» et une notoriété mondiale
Politiques ou sociétales, l’Angleterre a souvent initié nos révolutions : institutionnelle, industrielle, bancaire, littéraire, vestimentaire, musicale, mœurs… L’exemple d’un Turner n’hésitant pas à se rendre en barque au plus près de son sujet pour en faire des aquarelles d’où naîtront d’admirables tableaux (« L’incendie de la Chambre des Lords » notamment) initie une pratique nouvelle dans l’art de peindre. Nos Cézanne, Pissarro, Degas, Morisot, Sisley, Cassatt, Renoir, Van Gogh et beaucoup d’autres, pétris de l’air du temps fait de liberté, de changements sociaux et avec la conscience vive de la temporalité de toute chose terrestre, lui emboiteront le pas et feront, dans une fête de couleurs et de lumière, cette fameuse « révolution impressionniste » qui tournera le dos à la peinture romantique et naturaliste académique pour écrire un prolifique et joyeux nouveau chapitre de l’histoire de l’art.
De la seconde partie du XIXème siècle au début du XXème, notre vieux continent est témoin de changements radicaux qui viennent bouleverser structurellement tous ses pays. Appétence pour la liberté et goût de la découverte lié à la «modernité» : invention de l’automobile, du train et des navires de ligne facilitant les voyages transcontinentaux par terre et par mer. Désirs d’émancipation des tutelles limitantes : la religion (« Dieu est mort »/Nietzsche, « La religion est l’opium du peuple »/Marx), le patriarcat (travail et émancipation des femmes, Suffragettes, faisant suite à leur rôle essentiel durant le premier conflit mondial), le travail harassant (Zola, syndicalisme, communisme), les maladies (physiques : médecine-chirurgie moderne, ou mentales : psychanalyse et psychothérapies).
Ce tournant novateur que prend la création picturale à cette époque avec le mouvement impressionniste, tient aussi à deux inventions majeures venant bouleverser de manière irréversible la pratique de cet art qui va devenir « l’art moderne » : celle de la photographie (et son succès populaire immédiat) et celle du… tube de peinture.
Pour la première, les peintres, libérés du diktat de « faire ressemblant » vont pouvoir donner libre cours à leur créativité.
Pour la seconde, la géniale invention du peintre américain John Coffe en 1841 du tube de peinture en métal souple, va permettre à nos fougueux jeunes artistes avides de nature et d’horizons nouveaux d’aller créer « sur le motif », hors, et géographiquement de plus en plus loin, de leurs ateliers.
Rappelons-nous que l’Europe culturelle existait bien avant les balbutiements de l’Europe politique telle que nous la connaissons aujourd’hui : dès la Renaissance, voyages et villégiatures à l’étranger étaient la tradition pour tout artiste faisant ses « humanités », peaufinant son apprentissage ou étant amené à enseigner son art ou le nourrir d’exotisme. De Léonard de Vinci ou Chagall en France à Delacroix ou Matisse au Maroc.
La légèreté de ce nouveau matériel facilement transportable donne un essor nouveau à ces désirs d’escapades, de voyages en quête de nouveaux paysages et d’échanges fertiles entre artistes de sensibilités autres.
C’est la mémoire de cette extraordinaire aventure artistique, humaine et sociétale que le Réseau Impressionism Routes (Routes impressionnistes), certifié « Itinéraire Culturel du Conseil de l’Europe » en 2018, a choisi de garder vivante et pro-créative.
Pour son président Pierre Bedouelle : «Il a pour objectif de relier et de mettre en valeur un ensemble de sites significatifs de la peinture impressionniste des XIXème et début du XXème siècle en Europe. Il rassemble les endroits où les peintres ont vécu, ceux qui les ont inspirés, les colonies artistiques qu’ils ont fondées ou auxquelles ils ont participé, les musées où les œuvres sont exposées. Les activités de ce réseau ont pour objet de valoriser le caractère universel de l’Impressionnisme et le rôle important qu’il joue dans la connaissance et la préservation du patrimoine »
Le Réseau Impressionisms Routes, en partenariat avec la Fédération Européenne des Colonies d’Artistes, vient d’éditer un magnifique « Livre-Signature » bilingue français/anglais de 292 pages, doté d’une riche iconographie réunie grâce à la fructueuse coopération avec nombre de musées européens et américains : plus de 250 tableaux et illustrations, 25 biographies complètes d’artistes européens, des encarts originaux relatifs à l’impressionnisme aux USA et au Canada, la musique impressionniste, le japonisme et l’impressionnisme, les Itinéraires Culturels du Conseil de l’Europe, les Réseaux Impressionisms Routes et euroart.
Je trouve cet ouvrage d’une grande originalité et exceptionnellement riche, tant sur le plan culturel que pédagogique. Il deviendra, j’en suis sûre une référence incontournable pour tout passionné de peinture et d’union européenne sous toutes ses formes.
Le 25 mai 2021