Patrick Vieu : « Bâtir la mondialisation plutôt que la subir »

Ancien élève de l’ENA (promotion 1991-1993 « Léon Gambetta »), diplômé de Sciences Po Paris et docteur en philosophie, Patrick Vieu a, entre autres fonctions, été nommé de 2012 à 2014 Conseiller « Environnement et Territoires » en charge des questions de transport et de développement durable à la Présidence de la République.  Membre du conseil scientifique de la FEDE, il nous livre ci-dessous son regard sur la mondialisation.

Bâtir la mondialisation plutôt que la subir … La formule est belle mais quel est son sens ?

La maîtrise des défis de la mondialisation – démographique, écologique, migratoire – est à notre portée si nous sommes capables, collectivement, de construire une représentation du monde qui suscite l’adhésion du plus grand nombre.

À la mondialisation des interdépendances subies doit répondre une mondialisation des solidarités assumées. 

Postuler la mondialisation comme un donné nous empêche de la penser comme un projet politique ; or elle doit être un projet politique, la matrice de notre réflexion sur l’écologie, l’Europe, la révolution numérique, les migrations, le capitalisme, etc.

Il y a en quelque sorte deux mondialisations alors… ?

En effet, nous n’avons pas affaire à une mais à deux mondialisations. La première est celle de la science et de la technique, d’Internet et des réseaux sociaux. Elle a permis l’abolition des distances physiques. La seconde est celle de la marchandisation. Elle a aboli les frontières et rendu possible l’avènement de la société du marché global.

Postuler que la mondialisation est un donné, c’est se priver de l’espace intellectuel nécessaire pour imaginer la possibilité d’une autre politique et, au-delà, la possibilité même de l’action politique. Or, ce qu’il s’agit de conjurer, c’est le discours de l’impuissance qui réduit la politique à la pure administration des hommes et des choses.

Et concrètement, quel serait le visage de cette mondialisation telle que vous l’envisagez ? 

Réformer l’organisation et le fonctionnement de l’ONU.

Trois axes pourraient être privilégiés :

– Renforcer la transparence des procédures de nomination ;

– Réformer la composition du Conseil de sécurité en ouvrant l’accès au statut de membre permanent à d’autres États, dont l’Allemagne ;

– Encadrer l’usage du droit de veto par les membres permanents du Conseil de sécurité en cas d’atrocité de masse, comme proposé par la France en 2015.

Faire progresser les droits de l’Homme dans le monde

La France doit soutenir les efforts dans la lutte contre les violations du droit humanitaire, la protection des civils dans les conflits, celle des ONG dans l’exercice de leurs missions. Nous voulons que progressent les droits à l’avortement et à la contraception, et continue le combat pour l’abolition de la peine de mort.

Créer une ONU pour l’Environnement

La protection de la planète doit disposer d’une institution spécialisée indépendante, sur le modèle de l’Organisation mondiale de la santé, dotée de moyens financiers et humains reposant sur des cotisations obligatoires des États.

Repenser l’aide humanitaire et l’aide au développement

Répondre au défi des migrations, c’est agir sur leurs causes dans les pays de départ : conflits armés, famines, phénomènes climatiques, inégalités économiques sont des facteurs d’instabilité. La France doit être en première ligne dans l’aide internationale aux pays les moins avancés pour éradiquer la faim et la pauvreté. Elle doit accroître son aide publique au développement, tout en restant vigilante sur son utilisation.

Imposer des principes clairs aux accords de libre-échange engageant la France

Je suis favorable au libre-échange dès lors qu’il est synonyme de juste échange. C’est pourquoi, nous proposons une nouvelle doctrine du commerce international, fondés sur cinq principes :

– exclusion des services publics ;

– respect de nos indications géographiques et agricoles et de nos préférences en matière sociale, environnementale et sanitaire ;

– respect du droit des démocraties à déterminer leurs niveaux de protection sociale, sanitaire et environnementale ;

– règlement des conflits dans le respect du droit et des règles des institutions démocratiques des États ;

– inclusion des questions climatiques et fiscales dans les accords commerciaux.

Réguler le capitalisme numérique à l’échelle internationale

Au regard de la place des algorithmes dans nos vies, nous devons réfléchir aux conséquences de la révolution numérique. Déjà, la puissance des multinationales du numérique suscite de légitimes interrogations. Notre législation nationale et le droit européen doivent s’appliquer à l’usage des données sur notre territoire, et en cas de conflit, les données personnelles de nos concitoyens doivent être protégées. Enfin, nous proposons la création d’une instance de régulation internationale du numérique.

Engager une réflexion sur les biens communs et le droit de propriété

Nous avons besoin de nouveaux outils conceptuels, politiques et juridiques, pour penser les réalités nouvelles de la mondialisation et réfléchir à des questions de philosophie politique comme le statut et la gouvernance des biens communs (écosystèmes, ressources physiques, information, réseaux et infrastructures cognitives) ou l’évolution du droit de propriété avec le développement de l’économie d’usage, alors que la survie de l’Humanité dépend de plus en plus de biens indivisibles.